Note : Cette tribune a été initialement publiée par Le Point Afrique et a été écrite par la chercheuse et analyste de l’Enough Project, Nathalia Dukhan.
Plus que jamais, la Centrafrique a besoin de sortir de l’ornière de l’insécurité. Pour installer la paix et sortir de la situation de perpétuelle médiation, l’Union africaine pourrait jouer un rôle décisif. Explications.
Alors que le sommet de l’Union Africaine se tient du 22 au 29 janvier, à Addis Abeba, les chefs d’Etat et de gouvernement sont invités à mobiliser leurs efforts en faveur de la lutte contre la corruption sur le continent africain. Pour Moussa Faki Mahamat, président de la commission de l’Union Africaine, « la corruption tue ». Dans un concept note, l’institution dresse une esquisse des priorités pour l’année 2018 et y indique que pour faire taire les armes d’ici à 2020, la bonne gouvernance et la justice sont des préconditions pour une Afrique prospère.
Depuis 2016, l’Union Africaine est engagée dans une médiation qui vise à faciliter le règlement politique du conflit centrafricain. A ce jour, « l’initiative pour la paix » peine pourtant à livrer des résultats positifs et souffre de contradictions. En effet, bien que l’institution reconnaisse la justice comme une précondition à la paix, certains membres engagés dans la résolution du conflit centrafricain, avec en tête le Tchad, estiment que l’amnistie générale est le prix à payer pour parvenir à une réconciliation.
Pour faire de cette médiation un chemin vers la paix, les chefs d’Etat africains et le Conseil de Sécurité et de Paix de l’Union Africaine devraient réaffirmer leurs volontés communes et faire de la lutte contre l’impunité, une stratégie durable de sortie de crise en Centrafrique. A ce titre, des efforts concertés devraient viser à combattre les crimes économiques et les réseaux criminels, lesquels sont responsables d’alimenter corruption et violence sur le continent.
La crise centrafricaine, un mal régional
Au cœur du continent africain, la République Centrafricaine partage ses frontières avec des pays confrontés à des défis politiques et sécuritaires majeurs : le Tchad, le Soudan, le Soudan du Sud, la République Démocratique du Congo, la République du Congo et le Cameroun. Son positionnement géographique en fait un territoire stratégique pour la région. Pourtant, depuis plus de cinq ans, la Centrafrique plonge elle aussi dans un état de guerre permanent. Et en plus d’être progressivement devenu le pays le plus pauvre au monde, c’est désormais l’un des plus instables.
Ces dernières années, la situation s’est largement détériorée. La prédation des élites politiques successives et le syndrome de l’Etat fantôme ont facilité la prolifération des bandes armées criminelles connectés à des réseaux mafieux qui ont fait de la violence, un business rentable. Pour obtenir un soutien populaire, légitimer et renforcer leur entreprise criminelle, les leaders des groupes armés continuent d’attiser les tensions intercommunautaires, allant jusqu’à perpétrer des nettoyages ethniques.
Fin 2017, ce système de violence avait contraint plus de 1,1 million de personnes à fuir, « le plus haut niveau jamais observé » selon le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (UNHCR). Avec ces déplacements massifs de population, c’est la stabilité de toute la région qui est en jeu. Interrogé, un des présidents de réfugiés installé à l’est du Cameroun tire la sonnette d’alarme sur les conséquences de la baisse drastique de l’aide aux réfugiés annoncée pour 2018 : « le banditisme va augmenter. Livrés à eux-mêmes, nos jeunes seront des cibles pour les bandes armées ».
Le fléau du mercenariat régional
Tandis que les populations civiles cherchent à fuir les exactions, d’autres acteurs se tournent vers la Centrafrique comme une terre d’accueil et d’opportunités. En effet, sujet épineux mais souvent négligé, le mercenariat régional est un secteur en pleine expansion. Des combattants originaires des pays voisins, souvent réprimés et entrés en dissidence dans leur pays, viennent gonfler les effectifs des groupes armés en Centrafrique. Il est désormais largement reconnu qu’en 2013, la coalition Séléka – qui a renversé le pouvoir de François Bozizé – était majoritairement composée de mercenaires soudanais, dirigés par le général Moussa Assimeh, et de tchadiens.
Un représentant d’un groupe armé interrogé a même précisé, confidentiellement, que « les groupes armés cherchent la survie et ne peuvent pas empêcher les mercenaires de se joindre (à eux). S’ils viennent avec des munitions, ils sont les bienvenus ». Le panel d’experts de l’ONU confirmait dans son rapport de juillet 2017 la présence possible de mercenaires originaires des pays voisins, en plus des mercenaires ougandais issus de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) déployés sur le territoire depuis 2010.
Une tentative de coup d’état a même été dénoncée par le président de la Guinée Equatoriale en décembre dernier. Confirmées par plusieurs sources, cette opération militaire, qui a finalement échoué, était le fait de mercenaires tchadiens, soudanais et centrafricains. En outre, des ‘rebelles’ congolais, affichant leur intention de renverser le président de la République Démocratique du Congo – Joseph Kabila – ont également été identifiés sur le territoire centrafricain. En réalité, c’est l’ensemble des régimes de la sous-région qui ont les yeux tournés vers la Centrafrique, inquiets de voir émerger des groupes de dissidents et des combattants formés capables de déstabiliser, voire renverser, leur pouvoir.
Les réseaux de trafics régionaux, moteurs du système de violence
Pour le Secrétaire Général de l’ONU, en Centrafrique, ‘les violences (de 2017) ont été alimentées par l’intensification de la lutte que se livrent les groupes armés pour le contrôle des ressources’. En effet, le territoire centrafricain est riche en ressources, notamment minières. Elles représentent à la fois une motivation centrale du conflit mais également le moteur qui perpétue les violences. Interrogé, un leader de groupe armé actif dans l’est du pays a déclaré confidentiellement que « nous fonctionnons depuis deux ans en autofinancement. Notre source de financement primaire, ce sont les mines du pays : l’or et le diamant. Le deuxième provient de la transhumance (les taxes prélevées sur les éleveurs) ». Un autre enjeu stratégique réside dans les points de passage des armes en provenance essentiellement du Tchad, du Soudan et de la République Démocratique du Congo.
Si le contrôle des ressources est important, leur commercialisation l’est encore davantage. Pour générer des gains exorbitants et s’assurer de pouvoir fournir des armes et des munitions aux combattants, les chefs des groupes armés utilisent leurs réseaux, majoritairement régionaux. Interrogé, le leader d’un groupe armé a précisé que, par exemple, « la majorité des diamants qui partent de Bria (à l’est du pays) passent par l’équateur via le Congo et les trafiquants les remettent au Kenya. Ils prennent des diamants et en contrepartie ils nous donnent les armes et de l’argent ».
La corruption des élites politiques, une racine du conflit
Les chefs des groupes armés ne sont pas les seuls à profiter du système de violence. Interrogés, plusieurs opérateurs politiques et économiques sont unanimes. Le régime politique actuel est un système « d’affairistes », gangrené par la corruption et la poursuite du gain personnel. Confidentiellement, l’un d’eux a même été jusqu’à lancer : « la justice sous Touadéra (le président élu en mars 2016), on sait ce que ça vaut. C’est celui qui a la plus grande gueule et qui paye, qui gagne ».
En effet, la classe politique, retranchée dans la capitale, Bangui, peuple un état de façade. Celui-ci n’existe d’ailleurs que par la valse infatigable des donations extérieures, qui viennent régulièrement renflouer les caisses publiques et payer des salaires parfois exorbitants. A la fin de l’année 2017, 11 nouveaux ministères ont été créés et des représentants de groupes armés ont été nommés à des postes politiques. Ces décisions créent non seulement une pression insoutenable sur le budget, au détriment de l’investissement public, mais elles donnent aussi le sentiment d’une amnistie de facto pour les criminels de guerre.
Dans la crise centrafricaine, de nombreux observateurs extérieurs considèrent le manque de capacité des institutions étatiques comme l’une des sources principales du mal centrafricain. Si ce constat est bien une réalité, néanmoins, derrière un apparent manque de capacité et de moyens pour relever les défis, certaines ‘élites politiques’ démontrent une habile capacité à faire du patrimoine commun, un trésor de biens privés. Et comme si la prédation d’état ne suffisait pas, la classe dirigeante soucieuse de protéger son pouvoir, instrumentalise la violence et manipule les groupes armés et groupes d’auto-défense au gré de ses intérêts. Ce système, non seulement appauvrit toute une nation, mais alimente la violence et la criminalité. Il n’est pas vain d’affirmer qu’après deux au pouvoir, le tandem Touadéra – Sarandji échoue à faire des erreurs du passé, des leçons pour l’avenir.
L’initiative de l’Union Africaine, une opportunité pour la paix ?
Le panel d’experts de l’ONU a récemment indiqué que compte tenu des dynamiques régionales en jeu (les trafics d’armes et de ressources naturelles, la transhumance, etc.), une initiative telle que la feuille de route pour la paix et la réconciliation de l’Union Africaine, qui implique l’ensemble des Etats de la région, pourrait constituer un canal adéquat pour traiter des causes du conflit en Centrafrique.
Dans le cadre de cette médiation, l’Union Africaine devrait saisir l’opportunité qui lui ai donné en se distinguant des initiatives précédentes, lesquelles ont plus souvent visé à adopter des mesures d’accompagnement des effets de la crise, plutôt que d’adresser les causes du conflit. A ce titre, pour lutter contre les réseaux criminels et la corruption des élites politiques, l’Union Africaine devrait notamment contribuer à renforcer la mise en œuvre des mécanismes de sanctions ciblées à l’encontre des acteurs impliqués dans les chaines de trafics. Sur le continent africain, la violence ne devrait plus être un business profitable.
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