Note: This op-ed originally appeared in English in Haaretz, and was written by Sasha Lezhnev, Deputy Director of Policy at The Sentry, and John Prendergast, Co-Founder of The Sentry.
Lorsque les États-Unis imposent des sanctions à un homme d’affaires sans scrupules ou à une entreprise corrompue, on s’attend à des conséquences financières considérables. Cependant, certaines personnes et entités ciblées mettent au point des tactiques pour contourner les mesures et poursuivre leurs affaires louches comme si de rien n’était.
Ces combines pour esquiver les sanctions exposent les banques internationales au blanchiment d’argent et à des violations de sanctions, tout en compromettant l’instrument le plus important de la politique étrangère américaine : les sanctions ciblées.
Le magnat israélien Dan Gertler, placé sous sanctions américaines pour corruption de haut niveau, est un illustre exemple de ce bafouage de sanctions. Homme d’affaires agressif mais charmant qui aurait inspiré film « Blood Diamond », Gertler a affirmé que le Prix Nobel lui revient pour ses bonnes œuvres dans l’industrie minière. Son dossier laisse penser le contraire.
À l’âge de 23 ans, Gertler s’est rendu en République démocratique du Congo (RDC) et aurait versé au président de l’époque, Laurent Kabila, 20 millions de dollars en espèces—somme ayant servi à acheter des armes—en échange d’un monopole sur les exportations de diamants congolaises. Il aurait ensuite bénéficié, selon le Trésor américain, d’une relation privilégiée avec Joseph Kabila, l’éventuel successeur de son père à la présidence congolaise, pour conclure « des accords d’une valeur s’élevant à des centaines de millions de dollars en opérations minières et pétrolières obscures et corrompues en République démocratique du Congo ».
De nombreux contrats ont impliqué un retournement d’actifs. Gertler a obtenu des concessions de ressources naturelles à des prix sous-évalués sans transparence aucune, faisant d’énormes profits en les revendant avec un investissement minime ou nul. Il aurait notamment fait l’acquisition d’une mine pour 60 millions de dollars et l’aurait revendue pour 680 millions de dollars. Dans un autre cas, il aurait réalisé un profit de 29.900% sur un contrat pétrolier en exploitant sa position d’initié.
Après 15 ans de transactions portant sur le diamant, le cobalt et le pétrole en RDC, Gertler a réussi à intégrer le classement Forbes des 25 plus jeunes milliardaires au monde. « Au bout du compte, mon objectif est de créer beaucoup de richesse ». Entre-temps, un pillage systématique a anéanti la source de cette richesse, une nation dotée d’immenses ressources naturelles. Aujourd’hui encore, 77% de la population congolaise vit en-deçà du seuil de pauvreté et près de la moitié des enfants de moins de cinq ans y souffrent de malnutrition.
Lorsque le Trésor américain a mis en œuvre les sanctions dites Global Magnitsky il y a deux ans, Gertler était l’une des premières personnes ciblées, au même titre que 19 de ses sociétés et l’un de ses hommes de confiance. Le Magnitsky Act est une loi puissante qui permet aux États-Unis d’imposer des sanctions visant des individus et des sociétés qui sont impliqués dans des affaires de corruption ou des violations des droits de l’homme à travers le monde. Grâce à cette loi et à des sanctions modernisées visant des réseaux entiers d’affaires frauduleuses, les États-Unis déploient des techniques autrefois réservées à la lutte contre le terrorisme et à la prolifération nucléaire pour soutenir les droits de l’homme et l’état de droit. Il s’agit d’une avancée historique pour la justice internationale.
Cependant, Gertler tente désormais d’esquiver ces sanctions grâce à des jeux de pouvoir qui lui permettent de continuer à dérober les trésors naturels de la RDC. Il a lancé de nouvelles sociétés suite aux sanctions, selon des dossiers congolais consultés par The Sentry. Afin d’échapper à la compétence juridique américaine sur les transactions en dollars, il a obtenu à ce que le géant minier Glencore lui paye des redevances en euros—pour un montant total de plusieurs dizaines de millions d’euros.
En 2018, les États-Unis ont émis des sanctions contre 14 sociétés supplémentaires liées à Gertler, ainsi qu’une assignation adressée à Glencore. Des sources proches du dossier ont indiquées que le Ministère de la justice américain cherchait à obtenir des informations sur les activités de Gertler.
Gertler a récemment fait monter les enchères en engageant l’ancien directeur du FBI Louis Freeh et l’avocat Alan Dershowitz pour faire pression. Le simple fait d’engager ces individus très en vue laisse supposer que les sanctions produisent un certain effet, même si Gertler multiplie ses efforts pour éviter de rendre des comptes. À moins que les États-Unis ne comblent ces lacunes en imposant des sanctions sur les nouvelles sociétés de Gertler et en exécutant les peines prévues, ce milliardaire et ses acolytes endigueront la lutte des États-Unis contre la corruption.
Lorsque l’Iran a tenté d’échapper aux sanctions à la fin des années 2000 et au début des années 2010, les États-Unis ont renforcé leurs efforts diplomatiques et de sanctions secondaires. Les gouvernements et les banques à l’échelle mondiale faisaient ainsi face à un choix sans équivoque : faire des affaires avec la cible des sanctions ou faire des affaires avec les États-Unis. Le gouvernement américain devrait en faire de même avec Gertler ainsi que d’autres personnes et entités sous sanctions pour corruption massive et pour violations des droits de l’homme.
Le déroulement de l’affaire Gertler aura des échos importants auprès de la politique étrangère américaine et, dans un sens plus général, de la justice internationale. L’efficacité des sanctions ciblées contre des réseaux et la lutte contre le blanchiment d’argent à l’échelle mondiale sont en danger. Il s’agit de deux des principaux instruments politiques dont disposent les États-Unis pour exercer la pression en faveur du changement.
John Prendergast est le co-fondateur (avec George Clooney) de l’équipe d’enquête The Sentry, https://thesentry.org/, qui suit le cours des fonds illicites liés à la guerre et aux crimes de masse. Twitter : @TheSentry_Org
Sasha Lezhnev est le directeur adjoint politique chez The Sentry, https://thesentry.org/, une équipe d’enquête qui suit le cours des fonds illicites liés à la guerre et aux crimes de masse. Twitter : @SashaLezh